05 novembre 2010
Interview de Murielle Szac (Citrouille 56)
Non à la fermeture de l’usine Parker!
«Dans mes livres, nous dit Murielle Szac, il y a souvent du brouillard. Normal, je suis née à Lyon en 1964 mais j’ai passé mon enfance à Calais, alors la brume sur les fleuves et les canaux, je connais… Dans mes livres, il y a souvent une odeur de poudre et de colère, des révoltes et des combats, les mots ensemble et demain, une grosse envie de croire en l’homme, à sa capacité de changer le monde. Et puis des «Non» semés à foison. Parce que je suis écrivain mais aussi journaliste, je tricote mes histoires avec le fil du réel. S’il ne fallait retenir qu’un seul fil conducteur de tout mon travail ce serait celui-ci: la transmission. Pour choisir de devenir qui l’on est, il faut savoir d’où l’on vient. Histoire des origines, histoires de nos origines. D’autres avant nous ont vécu, souffert, aimé, se sont battus. C’est eux qui nous tracent le chemin.»
La Grève, son roman pour adolescents, dépeint ainsi de manière extrêmement touchante le combat des ouvrières de l’usine Parker à travers les yeux de Mélodie, treize ans, fille aînée qui a grandi dans la cité ouvrière du quartier Bosch (à côté de la fonderie qui a fermé, condamnant son père au chômage; celui-ci, quittant sa femme et ses quatre enfants, est parti vivre en ville). Le quartier de l’usine Parker, c'est aussi celui qui «engloutit sa mère le matin et la recrache le soir.». Mélodie considère la vie et le travail de sa mère avec honte et mépris. Pourtant, à la menace de fermeture de l’usine, tout va basculer. La grève commence, l’occupation de l’usine est votée par les ouvrières et, à sa grande surprise, sa mère s’investit dans la lutte. Mélodie demande à rester dans l’usine et se retrouve au cœur du combat. Elle prend alors conscience de l’importance de l’histoire, du savoir-faire, des conditions de travail de ces ouvrières. Cela va modifier complètement sa représentation du travail, passant du mépris à l’admiration pour ces femmes. Organisation, réunions, sollicitations de la presse, reprise de la production, tout y est amené avec justesse, sans commisération. On navigue entre effervescence et découragement. Une grève, c’est aussi le sentiment de vivre un moment infini, hors du temps - le lecteur aussi a l’impression que tout s’est arrêté de tourner sauf l’usine Parker. C’est à travers le regard progressif de Mélodie que le lecteur éprouve avec elle ce fait de notre société, ô combien actuel, grâce à un récit percutant et une écriture admirable.
Claire Bretin
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Une interview de Murielle Szac à propos de son roman La Grève,
collection Karactère(s), éditions du Seuil - 8,50€
Quelle est l’étincelle qui a déclenché l’envie d’écrire ce roman à propos d'une grève?
MURIELLE SZAC: Ce livre coule de source pour moi, mais ces sources sont multiples. Il y a d’abord une fidélité aux valeurs dont je suis issue. Mon grand-père était cheminot, il réparait des trains dans un atelier SNCF en banlieue de Lyon. Mais ni lui, ni ses enfants ne partaient en vacances. Trop cher. Ma grand-mère s’usait les yeux à retoucher au pinceau des photos dans une pièce noire pour rendre les bourgeois plus beaux. Mais ni elle ni ses enfants n’étaient photographiés. Trop cher. Mon arrière-grand-père ouvrier canut à la Croix-Rousse fabriquait des rubans pour les riches. Mais ni lui ni ses enfants n’ont jamais porté de soie. Trop cher. Mes parents ne sont pas des ouvriers, moi non plus. Et pourtant être issue du monde ouvrier oriente profondément ce que je suis. J’ai reçu en héritage des valeurs, celles du partage, de la solidarité, la fierté du travail bien fait, la révolte aussi contre les injustices… Lorsque jeune journaliste je suis partie en reportage dans le milieu ouvrier, déjà à l’époque je cherchais ce qu’il reste du monde ouvrier quand les usines ont fermé. De ces plongées, je me souviens d’être revenue avec la douloureuse impression d’une perte de transmission, d’une cassure dans la chaîne des générations. Ceux que l’on avait jetés de leur usine ne se sentaient plus bon à rien. Ils n’avaient jamais raconté à leurs enfants ou petits-enfants de quoi était fait leur travail quotidien. Et leurs valeurs même, ils n’avaient plus envie de les faire vivre. C’est de tout ce terreau qu’est né mon envie d’écrire ce roman.
Vous dites avoir retrouvé ces valeurs à l'occasion du tournage d'un film. Duquel s’agit-il?
Vous souvenez-vous de la grande grève des cheminots de novembre-décembre 1995 contre la réforme des retraites? Ce qui m’a frappée c’était que les cheminots faisaient grève plus pour l’avenir de leurs enfants que pour eux-mêmes. Leurs enfants allaient vivre plus mal qu’eux et c’était cette fin de l’ascenseur social qui les rongeait. Après la fin de la grève, j’ai voulu en comprendre plus. Pendant un an j’ai filmé une famille entière dans la région de Rouen. Le père, Gilbert, venait de conduire son dernier train. La mère, Mauricette, faisait des ménages. Les quatre enfants avaient du mal à s’en sortir. Mais ils étaient tous les héritiers des valeurs portées par leurs parents. Ce film qui s’appelle À quoi rêvons-nous?commence et finit par une manifestation. J’ai puisé chez eux la matrice de plusieurs personnages de mon roman.
Tout au long du roman, le lecteur suit les événements à travers les yeux de Mélodie. Pourquoi avoir choisi le point de vue d'une adolescente?
Lorsque j’ai écrit ce livre, la crise et son cortège d’occupations d’usines n’avait pas encore éclatée. Les ados auxquels je voulais m’adresser étaient très loin du monde du travail et de celui de la grève. J’ai voulu que mon héroïne soit comme mes lecteurs, en pleine découverte. Et puis pour un jeune, une occupation d’usine, c’est aussi un formidable terrain d’aventures! J’avais envie de faire vivre cette grève comme une épopée.
Comment la représentation du travail évolue-t-elle aux yeux de Mélodie? Et en quoi l’expérience de la grève aux côtés de sa mère la fait-elle «grandir»?
Mélodie, au début du livre est comme beaucoup de jeunes d’aujourd’hui, ignorante des réalités du travail de sa mère et même méprisante. J’ai voulu que, peu à peu, elle ait la révélation de tous les savoir-faire de sa mère, et aussi de ses conditions de travail difficiles. C’est un roman d’initiation: la jeune fille a grandi à la fin du livre. La maturité qui lui vient, passe par une vraie prise de conscience des réalités de l’usine et des solidarités ouvrières. Elle devient héritière à son tour des valeurs de ce monde qui s’écroule sous ses yeux mais dont elle ne peut que porter la flamme.
On peut penser que les questions de grève, de chômage ou luttes sociales ne concernent que les adultes. En quoi est-ce important pour vous d'initier les jeunes à ces problématiques?
Les enfants ne vivent pas dans une bulle! Le monde dans lequel ils grandissent est dur, âpre. Je pense que nous ne pouvons pas assigner à la littérature la seule fonction récréative d’un loisir passe-temps. Un bon livre c’est celui dont on sort différent après la lecture. Il faut naturellement avoir été ému, emporté par de vrais personnages et par un scénario qui nous tient en haleine; mais pas besoin de rester dans un monde de rêve pour cela. Est-ce que Cosette des Misérables, ou bien Étienne Lantier de Germinal ne sont pas d’abord de grands héros romanesques? Et pourtant, ne nous ont-ils pas fait prendre conscience des injustices de ce monde? N’ont-ils pas contribué à transformer notre regard?
Vous dirigez l'excellente collection Ceux qui ont dit non, chez Actes Sud Junior. Pour vous, qu'est-ce qu'un écrivain engagé?
La littérature doit aussi offrir aux jeunes des espaces de projection, des personnages en qui ils peuvent chercher des pistes d’éclaircissement. Un livre trace un chemin. La collection que j’ai créée chez Actes Sud Junior en est à son quinzième livre en deux ans. Ces quinze romans offrent des personnages qui se sont levés pour défendre la liberté et les valeurs des Droits de l’Homme, des personnages qui ont dit non à ce qui leur paraissait inacceptable. Ils montrent comment les combats d’hier résonnent aujourd’hui. Les jeunes ne demandent que cela: pouvoir incarner leur envie de révolte. Comment diable auraient-ils envie de grandir dans un monde dont ils ne pourraient rien changer? Moi j’ai envie que nos livres leur disent l’inverse: vous pouvez améliorer ce monde qui n’est pas parfait, et c’est vous qui le rendrez meilleur. D’ailleurs sur le blogwww.ceuxquiontditnon.fr, on leur propose de nous raconter eux aussi à quoi ils disent non. Voulez-vous une seule preuve que ces romans «engagés» rencontrent un écho chez les jeunes? Dans un collège du Pas-de-Calais qui m’accueillait après avoir lu La Grève, j’ai été reçue sur le parking par une manif. Mégaphone, sifflets, banderoles, cris, rien ne manquait! Et que scandaient avec entrain les jeunes? «Non à la délocalisation», «Non à la fermeture de l’usine Parker». Parker, ce n’était pas une usine à côté de chez eux, c’est l’usine où travaille la maman de mon héroïne! Voyez, la force de la littérature… Alors si mes mots peuvent donner aux jeunes l’envie de résister, j’aurai touché mon but.
Claire Bretin
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