29 novembre 2010
Moby Dick - Gérard Lo Monaco et Joëlle Jolivet
Moby Dick
Joëlle JOLIVET - Gérard Lo Monaco
Gallimard Jeunesse
Découvrez dans lire la suite l'interview des créateurs de ce travail de passionnés, publié dans la revue Citrouille n°57, qui vient d'arriver !
Présentation
Meggendforder, Komagata, Munari, Kubasta, Sabuda, Carter, Bataille... Ces noms et bien d’autres encore ont marqué (ou marqueront !) l’histoire du livre animé, qui depuis quelques années va toujours plus loin, explorant des chemins variés. Documentaires, textes illustrés, livres d’artiste, l’animation s’applique aujourd’hui à tout types de livres, plaçant le lecteur dans une position active, non seulement en suscitant des manipulations, mais aussi en stimulant son imagination. Lorsqu’il n’est pas simple gadget ou produit dérivé, utilisé pour son effet « tape-à-l’œil » (ce qui arrive malheureusement trop souvent !) le pop-up laisse un espace formidable à la création, et la magie opère… Mais cette « magie ne se révèle qu’à ceux qui acceptent de le regarder avec naïveté. » nous prévient Jacques Desse (Revue Hors-cadres n°4). Les pop-up, fonction de leur sens artistique, peuvent devenir des livres de fonds, des classiques. Ainsi, la célèbre « Maison hantée » de Jan Pienkowski publiée en 1979 aux USA est toujours sur nos étagères, émerveillant encore petits et grands. De nombreuses « perles » animées remplissent nos rayons en cette fructueuse fin d’année, qui on l’espère brilleront longtemps. La perle rare, c’est Moby Dick, texte adapté par Philippe Jaworsky, illustré par Joëlle Jolivet et conçu par Gérard Lo Monaco, publié chez Gallimard Jeunesse, présenté ici. Ce pop-up, adapté du chef d’œuvre de Melville, retrace l’histoire du capitaine Achab, lancé à la poursuite du cachalot blanc qui l’a mutilé. Dans un format à l’italienne, l’histoire est littéralement mise en scène par les dix dioramas qui plantent la profondeur d’un décor théâtral lorsque le lecteur tourne la page. L’avertissement de Philippe Jaworsky, placé au début du livre, décrit avec passion le parcours de Melville et explique mieux que quiconque toute la qualité de ce projet : « Le regard s’attarde sur les fantastiques irrégularités de la typographie du texte et s’aventure dans les profondeurs et les détails de la scène qui lui correspond avec le même bonheur de retrouver, devant tant d’étranges beautés, les émerveillements de l’enfant. »
C’est grâce au talent et au cœur de toute une équipe qu’un tel livre peut voir le jour.
Les créateurs
Joëlle Jolivet, dont les illustrations se prêtent merveilleusement à cette aventure maritime, utilise principalement la gravure sur linoléum comme moyen d’expression. (Rappelons-le, deux prix Sorcières : 365 pingouins publié chez Naïve, et Costumes, documentaire publié chez Panama !)
Gérard Lo Monaco, fondateur du studio de graphisme Les Associés réunis, est ainsi présenté par Sophie Giraud, éditrice d’Hélium : « Gérard Lo Monaco est plus qu’un simple directeur artistique, c’est un artiste amoureux des livres, qui a le sens de la mise en scène et de l’objet livre. (…) Depuis ses passages chez Tchou et Pauvert dans les années 60 puis chez Syros dans les années 80, il a apporté beaucoup au livre jeunesse et au livre-objet. » Il se cache derrière la réalisation de nombreux pop-up pour différentes maisons d’édition. Après Le petit Nicolas et Le Petit Prince, il a réalisé également La belle lisse poire du prince de Motordu et bien évidemment Moby Dick pour Gallimard Jeunesse.
Merci à tous les deux de nous faire part de votre expérience et de nous offrir ce merveilleux livre ! Bibliographie succincte : Revue Hors-cadres n°4 : apparitions disparitions. Atelier du poisson soluble/Quiquandquoi L’art du pop-up. David Carter, James Diaz. Milan INTERVIEW
En tant qu'artistes du livre, quel a été votre parcours ?
Gérard : Au sujet de mon parcours, le livre est toujours au centre. Attiré par le théâtre, j'intègre le Magic Circus, Le Théâtre National de Chaillot, puis l'Opéra de Paris comme constructeur et décorateur, puis peintre de trompe-l'œil. Puis je reviens au livre, à l'édition, à l'affiche. Je crée la Compagnie du Charivari, marionnettes foraines à fils, et parallèlement je crée des affiches pour diverses compagnies théâtrales. Mon attirance pour le livre animé vient du théâtre. Le trompe-l'œil, les effets de perspective, le traitement des volumes et de l'espace, sont les langages du décor de scène, et je cherche à les appliquer à les transposer dans le pop-up, qui devient une scène en réduction. Moby Dick est constitué de scènes où l'espace est organisé comme un décor d'opéra, ou plutôt inspiré par les dioramas, qui au 19e siècle étaient implantés sur les Grands Boulevards à Paris. Joëlle : J'ai suivi une école de graphisme et de publicité puis un an en lithographie aux Beaux-Arts de Paris. J'avais déjà essayé il y a plus de dix ans de faire des pop-up. C'était très difficile à l'époque de monter ce genre de projet, personne n'en faisait en France : on achetait tout aux Américains. Je suis ravie de pouvoir faire ce genre de livre avec Gérard, c'est vraiment un travail à deux. Cette année, nous avons créé aussi les « 10 p’tits pingouins » chez Hélium : c'est un projet aux antipodes de Moby Dick, avec des animations, des disparitions, un travail très différent, réalisé avec Bernard Dusuit, un excellent ingénieur papier. J’ai également réalisé deux dioramas dans « L'homme qui plantait des arbres » paru chez Gallimard. C'était un peu mon année pop-up !
En quoi consiste votre métier ?
Joëlle : Mon métier, c'est faire des images et en particulier des livres, c'est-à-dire que j'essaie de ne pas seulement illustrer des textes, mais de penser au livre dans sa globalité et d'intervenir le plus possible dans sa conception et sa fabrication. Gérard : Lequel ? Directeur artistique, c'est choisir un illustrateur pour un projet, orienter, et habiller graphiquement les couvertures et mises en pages. Graphiste, c'est le maniement de la typographie et des images. Pour concevoir les animations des pop-up (ingénieur papier), c'est en tâtonnant, en bricolant, que les mécanismes, les mouvements s'inventent. Quels sont vos références en matière de pop-up ? Joëlle : Mon idole c'est Kubasta, un tchèque qui faisait des livres animés dans les années 60, j'en avais quand j'étais petite, c'est magnifique, parce que c'est très simple, pas un point de colle, que du pliage ! Mais comme souvent, les maîtres du pop-up sont de magnifiques techniciens du papier, mais de piètres illustrateurs... C'est peut-être ça qui est en train de changer actuellement. Comment intervenez-vous dans la fabrication d'un livre ? Gérard : Pour Hélium, c'est Sophie Giraud, éditrice qui fait les choix d'auteurs, de textes, ou bien des idées d'illustrateurs. Nous décidons de la forme graphique collégialement, mais aussi du type d'objet qui me semble le plus approprié pour servir le livre. La fabrication est la définition du format, du choix de type de couverture, des types de papiers, de l'emploi de la quadrichromie, des couleurs Pantone… J'interviens donc au moment même de la naissance du livre, par des propositions qui cherchent à trouver une personnalité au futur livre, avec l’éditeur et le fabricant. Comment avez-vous été amené à travailler ensemble ? On s’est rencontrés il y a 23 ans dans le train qui nous emmenait au Salon du livre de Bologne... Nous aimions les bateaux, la littérature maritime, et tout naturellement je crois bien que l'idée de donner notre interprétation de Moby Dick est venue presque immédiatement. On a peut-être hésité à faire passer devant Melville, Pierre Mac-Orlan et les Chansons pour accordéon ! Avec la naissance des « Associés Réunis », on a vraiment travaillé ensemble en réalisant un petit carrousel avec six images en diorama pour l'intégrale des CD de Renaud. Devant l'intérêt suscité par ce petit livre, on a eu envie de recommencer et de faire un vrai livre en diorama. Comment est né le projet de Moby Dick ? Gérard : J'avais déjà abordé Moby Dick en transposant le sujet en marionnettes, plutôt sous la forme d'un spectacle miniature destiné à une vingtaine de spectateurs, car les "tableaux " étaient à peine plus grands que les scènes du livre. L'idée était de travailler sur l'illusion d'optique, la perspective, mais la construction s'est arrêtée au bout de deux ans de travail. J'évoquais souvent Moby Dick avec Joëlle qui connaissait ce texte de Melville. Notre goût commun pour les bateaux, les marins et l'imaginaire des ports nous a donné l'envie de faire ensemble un livre. Notre choix du diorama animé s'est imposé. Joëlle : C'était parti. Nous n'avions pas d'éditeur, mais très vite, Gérard qui faisait des pop-up pour Gallimard le leur a proposé. Pour autant, nous avons tout fait tout seuls, de l'édition à la fabrication, avec l’équipe des Associés Réunis. Pouvez-vous nous parler de votre rencontre avec Philippe Jaworski ? Philippe Jaworsky a sorti la nouvelle traduction de Moby Dick chez Gallimard (dans la Pléiade). Nous avons eu terriblement envie de le contacter et notre projet lui a beaucoup plu : deux cinglés aussi obsédés que lui par les harpons et le nombre de rameurs dans une baleinière, il était fou ! Il a été tout de suite d'accord pour collaborer. Nous voulions lui demander des précisions maritimes et partager ses connaissances sur des points précis du texte. On voulait mettre des extraits du texte, pour garder la langue de Melville. Il a donc retricoté sa traduction pour mieux coller à l'image. Puis il a écrit une préface et des résumés de l'histoire pour faire le lien entre les différentes scènes. Nous l'avons sollicité de nouveau, quand la nécessité d'écrire un avant-propos s'est imposée. D’où vient la typographie originale utilisée dans le livre ? La typographie des pages de texte, inspirée des affiches du 19e siècle, a été composée à partir de fontes scannées, de lettres en plomb, ou bois scannées puisées dans des spécimens de caractères. C'est Marion Tigréat qui a fait le travail, à partir de caractères que j’avais dessinés. Ce travail de composition s'apparente aux typographes au plomb, qui formaient les textes lettre à lettre, ligne à ligne. Le choix de seulement dix scènes (dioramas) pour un texte aussi conséquent a dû être difficile. Comment avez-vous séléctionné les scènes représentées ? Nous avons sélectionné les scènes qui forment le livre, puis nous nous sommes rendu compte que ce serait trop cher à produire. De 24 scènes, nous sommes redescendue à 12 et dans la version finale. Alors qu'elles étaient gravées, Gallimard nous en a encore fait enlever deux. Le livre en comporte dix maintenant. Joëlle a dessiné en crayonnés les tableaux, et cherché à respecter les détails des caractères des personnages. Grâce à ses connaissances en marine et son goût de l'exactitude, le livre répond à notre désir de correspondre à l'aspect documenté de Melville sur la chasse à la baleine. Gérard : J'ai cherché un principe qui réunisse le livre animé à la lecture continue et soit plus littéraire, contrairement aux pop-up plus décoratifs, où le texte est absent. J'ai mis au point un système (qui existait sous une autre forme) dans lequel les pages se tournent, et les dioramas se mettent donc en relief, créant une illusion de la perspective. Joëlle : Gérard a inventé ce système de "boîtes " et j’ai fait des images pour mettre dedans. Ça a duré quasiment quatre ans... Pour ce travail, je me suis replongée dans l’œuvre de Melville, j’ai lu deux ou trois traductions et des passages en anglais ! J'imagine que penser les découpes d'un pop-up nécessite beaucoup de travail et de réflexion, comment s'est passée la fabrication de votre livre ? Gérard : La fabrication était abordée en même temps que la création. Dans un pop-up, l'ingénierie papier (c'est-à-dire les mécanismes, les volumes qui se déploient, les effets de pliages qui surgissent de la page) est dévoreuse de papier en quantité, donc en coût, mais aussi en façonnage. Ils nécessitent de la main-d'œuvre, du temps passé pour plier les pièces, coller des pattes, réunir avec du ruban double face des parties, monter des éléments, assembler les pages manuellement. Ces opérations qui rendent chaque exemplaire unique sont quantifiées précisément et facturées. Au fond, chaque livre est une pièce unique, Moby Dick totalise 1 h 30 d'assemblage ! Le livre a été conçu par le studio Les Associés réunis, à proximité et à une portée de vélo (ou de scooter !) de l'atelier de Joëlle. Quelques détails techniques supplémentaires pour les plus curieux... Les illustrations de Joëlle en linogravure sont plus compliquées à graver par le fait qu'il y a superposition des images. Pour une scène, il y a quatre plans à dessiner, graver et mettre en couleur. Nous avons étudié plusieurs formats pour aboutir à la bonne taille. Les choix de papier aussi étaient délicats, et nous avons après différents essais sur des grammages de tous types opté pour un offset mat 220 g. La photogravure réalisée en France a été difficile à régler, car les couleurs de Joëlle sont subtiles. Les découpes des scènes sont le résultat d'un minutieux travail fait par Marion (Les Associés réunis) afin de fournir des fichiers numérisés, qui servent à faire les formes de découpes. D'après vos réponses, le livre animé demande une implication, un travail d'équipe, du temps et de la patience et... un éditeur suffisament solide financièrement. Mais l'aboutissement d'une longue aventure comme celle-ci doit être comme un rêve qui se réveille. Prête à recommencer ? Joëlle : Je suis un peu échaudée, les facteurs économiques sont vraiment trop présents, c'est toujours trop cher ! C'est frustrant, et long, plus qu'un livre "normal". Pourtant j'ai encore des envies en ce domaine, j'adorerais faire un "tunnel", mais c'est plus un objet qu'un livre, je ne vois pas quel éditeur accepterait ce genre de projet ! A compte d'auteur peut être, ou à a la main à 100 ex... Propos recueillis par Claire Bretin Illustrations : Merci et avec l'aimable autorisation des éditions Gallimard Jeunesse. Tous droits réservés !
Moby Dick ; par Herman Melville ; Illustrations Joëlle Jolivet ; Ingénierie papier Gérard Lo Monaco ; Traduction, préface et légendes de Philippe Jaworsky ;
Editions Gallimard Jeunesse, octobre 2010, 25 €
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