05 mars 2014
Nouveauté roman : l'école des loisirs : Aharon Appelfeld, un auteur à la voix unique
Adam et Thomas
Adam et Thomas est son premier livre pour la jeunesse. Il est paru en Israël au printemps 2013, enthousiasmant la critique et les lecteurs. Tous y ont reconnu la voix si particulière de l’écrivain, simple et profonde. Le livre est d’ors et déjà au programme dans les écoles pour la tranche d’âge CM1/5e, mais de nombreux lecteurs « adultes » l’ont également suivi dans cet élargissement de son œuvre à la littérature jeunesse. La situation initiale du livre (deux enfants redoublant d’ingéniosité pour survivre dans la forêt pendant la Seconde guerre mondiale) est bien sûr directement inspirée de sa propre expérience et les lecteurs sont profondément sensibles à cette dimension autobiographique. De plus, si les livres sur la période ne manquent pas, il n’existe pas à ce jour de roman jeunesse traitant de la survie des enfants dans la forêt avec autant de justesse
Une oeuvre internationalement récompensée :
De son enfance qui lui a fait connaître le pire et le meilleur, Aharon Appelfeld a tiré à ce jour plus de quarante romans traduits en trente-cinq langues. Régulièrement cité comme « nobélisable », encensé par l’écrivain américain Philip Roth, il a reçu de nombreux prix prestigieux dont le prix d’Israël, le prix Nelly Sachs (Allemagne) et le prix Médicis étranger pour son livre autobiographique Histoire d’une vie (les Éditions de l’Olivier/Point Seuil) vendu à ce jour à plus de soixante mille exemplaires. Depuis 2004, il a acquis en France une notoriété et un public extrêmement fidèle qui le suit de livre en livre. Souvent comparé à Kafka, qu’il tient pour un de ses maîtres, il distille dans ses romans faussement réalistes le sentiment que les êtres et les situations dans lesquelles la vie les plonge, demeurent des énigmes difficilement déchiffrables.
Dans lire la suite découvrez l'entretien de l'école des loisirs avec l'auteur !
Propos recueillis par Valérie Zenatti, sa traductrice
Adam et Thomas est votre premier livre pour la jeunesse, après plus de quarante romans publiés. Pourquoi avoir choisi soudain d’écrire pour les enfants ?
Il était temps ! Quand on atteint mon âge, soit plus de 80 ans, on commence à comprendre toutes sortes de choses et l’on est peut-être capable d’écrire enfin sur les enfants, et pour eux. À vrai dire, les enfants sont présents dans mes livres depuis très longtemps, je leur accorde une grande importance. Mais ils sont toujours pris dans une relation avec les adultes, ce qui modifie leur comportement, leurs réactions. Là, j’avais envie de les isoler, pour retrouver quelque chose de l’enfance à l’état brut. Pour écrire ce livre, j’ai tenté de conserver ma voix, en m’adressant aux enfants dans une histoire à la structure et à la langue plus simples. Mais la situation – des enfants juifs qui survivent dans la forêt pendant la Seconde Guerre mondiale – est celle que l’on peut trouver dans d’autres de mes livres comme Histoire d’une vie ou Tsili.
Quel est votre rapport à l’enfance ?
Il s’agit sans aucun doute de la tranche de vie la plus importante, celle où l’on capte le monde directement, si on nous le permet bien sûr, si la guerre ou des parents insensibles ne se mettent pas en travers de notre perception. C’est l’âge où l’on pose les questions essentielles. Un enfant de six ans en route pour l’école est capable de demander à ses parents : «Qui est Dieu ? Pourquoi cet homme est triste ? Pourquoi suis-je triste, parfois ? » Les adultes ne se posent plus beaucoup ces questions. Ils les intègrent à leur routine, à leur quotidien, ils ont des préoccupations le plus souvent matérielles, tandis que l’enfant, qui a un contact premier avec toute chose, a un rapport à la fois très direct et spirituel aux objets, aux êtres. La capacité d’observation des enfants est merveilleuse.
Votre livre, Adam et Thomas, est ancré dans la réalité de la Seconde Guerre mondiale mais il s’en dégage en même temps une ambiance proche de celle des contes. Est-ce que c’est dû à votre propre perception de cette expérience ?
Bien sûr. J’avais huit ans lorsque la guerre a éclaté. Ma mère a été assassinée par les Nazis, j’ai été déporté avec mon père dans un camp dont je me suis échappé en me faufilant sous les barbelés. Je me suis retrouvé seul dans la forêt, responsable de ma propre survie. Une situation sortie droit d’un conte, même si elle était ma réalité. Chaque matin, à mon réveil, j’espérais que le conte prendrait fin par magie. Je me disais : « Si j’aperçois maintenant un cheval noir, mes parents reviendront. » La forêt telle que je l’ai connue fut à la fois une expérience due aux circonstances historiques et une expérience avec une dimension mythologique. Je pense que la forêt existe en chacun de nous. C’est un lieu qui nous attire et nous effraie.
Adam et Thomas survivent donc ensemble dans la forêt. Le premier est un garçon pragmatique qui a un rapport simple aux choses, le second est plutôt maladroit et se pose beaucoup de questions. L’un des deux vous est-il plus proche ?
Non, jamais, car tous mes personnages sont une facette de moi-même. Il y a en moi cet enfant qui aime grimper aux arbres, partir à la recherche d’un ruisseau, de fruits. Je suis très proche de la nature. À un moment donné de ma vie, j’ai pensé devenir agriculteur, j’aimais prendre soin des plantes, contempler les fruits pousser. Mais il y a aussi en moi l’enfant rêveur, qui a besoin, comme Thomas, d’écrire dans son journal, même si trouver les moyens de survivre exige du temps, des forces, il trouve encore le moyen d’écrire un peu dans son journal.
Il y a aussi une petite fille, Mina, qui apparaît au milieu du livre et vient en aide aux garçons, dans une discrétion absolue. On croirait presque à une apparition. Il y a en elle quelque chose d’infiniment réconfortant que l’on retrouve dans les personnages féminins de vos livres tels L’amour, soudain ou Le garçon qui voulait dormir…
Depuis tout petit j’ai aimé la présence des femmes. J’aimais ma mère, j’aimais les domestiques qui s’occupaient de moi. Le féminin m’est très proche. Dans ce livre, Mina prononce en tout et pour tout un seul mot, mais sa présence est très forte. Elle est à l’image de ces Justes qui agissent en silence.
L’autre personnage important est Miro, le chien d’Adam, qui les rejoint dans la forêt. Vous le décrivez avec la même attention que celle portée aux enfants. Quel rapport aviez-vous aux animaux lorsque vous étiez enfant ?
J’ai passé beaucoup de temps chez mes grands-parents maternels, dans les Carpates. Ils possédaient une ferme, ce qui m’a mis en contact avec beaucoup d’animaux. Des chevaux, des chiens, des vaches, des chats… Je ne les ai jamais considérés comme des êtres étrangers. Nous aussi sommes d’abord des animaux, même s’il y a bien sûr des différences entre eux et les êtres humains. J’ai toujours considéré que l’on pouvait donner quelque chose à un animal, et recevoir en retour. Les animaux peuvent être extrêmement fidèles. Pendant la guerre, j’ai eu un contact plus fort avec les animaux qu’avec les humains. Ils étaient beaucoup moins dangereux pour moi. Ils ne cherchaient pas à savoir si j’étais Juif ou Tzigane, s’il fallait me dénoncer. Je m’endormais près d’eux, ils me réchauffaient sans poser de questions.
Quel souvenir de livres pour enfant avez-vous gardé ?
Chaque soir, avant le coucher, il y avait un cérémonial. On me lavait dans une grande bassine en bois remplie d’eau chaude, on me savonnait puis on m’enveloppait dans une immense serviette très douce. Je mettais mon pyjama, Maman me conduisait au lit et me racontait une histoire. La plupart du temps, je m’endormais au milieu, et j’emportais dans mon sommeil le visage de ma mère imprégné par l’atmosphère de l’histoire. Je me souviens d’un livre qui s’appelait Les Contes du Nord, et aussi des histoires des Frères Grimm, qui me faisaient très peur. Le cérémonial a cessé du jour au lendemain avec l’irruption de la guerre dans nos vies.
Qu’espérez-vous partager avec les jeunes lecteurs qui liront ce livre ?
La littérature pour enfant, il me semble, doit contenir deux dimensions. L’une distrayante, récréative, l’autre pleine de sens. Je crois que les livres peuvent fournir des outils pour nous accompagner dans nos vies. Avec ce livre, j’espère munir les jeunes lecteurs de quelques-uns de ces outils.
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