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13 décembre 2010

Rébecca Dautremer répond à nos questions sur Alice au pays des Merveilles

Le choix des libraires et des lutins pour Noël !

Merveille en vue !

AliceD.jpg

 

La couverture renvoie à la chronique qui elle même renvoie aux films montrant Rébecca Dautremer au travail... 

 

1. Pour moi Rébecca Dautremer, ce sont des princesses merveilleuses, loin de sentiers battus et des nuages roses ; une Baba Yaga d’anthologie à la tête de l’établissement « au bambin qui rissole » ; et un Petit Poucet mélancolique et fantastique qui a perdu ses petits cailloux, mais gagné en profondeur… une petite fille sur pellicule au secours des personnages de contes (Kerity) et des couleurs, des ambiances… comment vous définiriez vous, vous présenteriez vous aux lecteurs qui ne vous connaissent pas encore (il en reste deux ou trois pas plus !)

 

Bon là on a commencé fort, parce qu’à vrai dire j’avais un doute, mais bon les Princesses : « me pèsent un peu, je n’ai rien d’une princesse ! Cela fait quinze ans que j’illustre des livres pour les gens, des univers éloignés de la réalité. Je n’ai pas besoin forcément de merveilleux, par exemple le Petit Poucet est plus noir. J’aime ce qui est à double facette, à double tranchant, trop de douceur m’effraye ! » RD

 

Bon moi je peux vous dire que l’accueil a été chaleureux, la disponibilité immédiate et totale et que j’ai pu poser toutes les questions que je voulais, tout simplement (et pourtant je n’en menais pas large au départ). J’ai même appris des choses que je ne vous répèterai pas : privilège de l’interviewer !

 

2. Vous avez choisi d’illustrer un texte plus que célèbre et plus qu’illustré : un défi ? Un rêve ? Comment est né ce projet ?
Alice est brune désormais : un moyen en restant fidèle au texte de s’affranchir du poids de la légende ?
Qui est cette Alice  aux cheveux bruns et aux yeux rieurs, rêveurs : vous ?

 

 

RD : Le projet a été proposé par l’éditeur. Au départ, je n’en avais pas forcément envie. Car je n’ai jamais été séduite par la version Disney. Pourtant le personnage de l’auteur  Lewis Carroll est fascinant, l’époque victorienne… et puis j’ai trouvé des photographies de l’Alice qui a inspiré l’histoire. Ces portraits m’ont beaucoup frappée : donc Alice serait brune avec une frange. (voir la photographie à la fin de l’album).

C’est un texte illustré des milliers de fois, avec de multiples versions, donc c’est le summum de la difficulté. Je me suis dit que c’était donc un défi. J’aime les challenges, la compétition. Il fallait proposer sa propre version sans forcément vouloir en faire absolument trop, sans vouloir à tout prix faire différent. Et puis j’avais envie de me faire plaisir et il n’est pas non plus nécessaire de tout révolutionner pour cela.

 

Donc non Alice ce n’est pas moi et elle ne pouvait pas être blonde, dans mon univers et dans mon entourage, les petites filles ne sont pas blondes.

 

5. Le choix du texte intégral : une évidence ?

 

RD : Oui, c’était une évidence pour l’éditeur et moi dès le départ. Le texte intégral ou rien. Et d’ailleurs je n’ai pas voulu non plus d’un texte qui soit remis au goût du jour. J’aime le texte de Carroll, l’histoire est fantastique, difficile. Il fallait respecter ce texte.

 

6. L’image traditionnelle, véhiculée par Disney notamment est celui d’un monde lisse, chatoyant de couleurs vives : dans l’univers que vous avez créé, on en est très loin, comme dans cette page fabuleuse où Alice qui a grandi est bloquée dans la maison du lapin pressé.  Pourquoi avoir fait, ce choix, votre imaginaire, votre vision d’Alice ?

 

RD : En fait l’histoire d’Alice est tout sauf lisse, l’histoire met mal à l’aise, aucun personnage n’est réellement sympathique.

Alors comme j’aime tordre les choses par rapport au rêve, je me suis mise au travail. Au départ j’ai voulu une atmosphère mouillée, humide (la couverture, la maison sur pilotis, il y a de l’eau sur de multiples images). Mais dessiner de la pluie est difficile et donc c’était trop difficile à tenir.

J’ai voulu mettre en scène mes illustrations comme par exemple avec la scène de la maison qui craque sous le poids d’Alice avec les pilotis qui ploient, qui vont craquer…

J’aime les couleurs vives mais cassées par une couleur sale. Dans la première double page, on retrouve le lapin pressé : c’est une image qui m’accompagne partout, l’une de mes préférées. Les graminées sont celles de mon pays, des Hautes Alpes, elles montrent cette flore en péril.

Je pense que le dessin n’aurait pas la même valeur sans le petit tuyau avec le compteur qui symbolise le temps.

 

NDLR : Sans lui Rébecca pense que cette page serait simplement jolie.

 

7. Les couleurs montent en puissance dans l’album, avec une double page notamment qui semble de transition lorsqu’on retrouve les flamands roses, comment avez vous géré la mise en page, en couleur ? De la même manière, l’alternance de pages colorées et de crayonnés donnent de la légèreté à l’album, permettent les respirations… ce choix s’est il imposé rapidement ?

 

RD : Ce n’est pas tellement le problème du choix de couleur. Je cherche un ton, une couleur pour sa lumière, sa luminosité. J’aime bousculer le côté habituel. Par exemple la page du lézard qui tombe : le lézard est habillé de couleurs qui crient, qui jurent entre elles (page 47). Je ne fais pas les images dans l’ordre. Les harmonies sont différentes selon chaque scène.

 

Ce n’est pas facile en fait de réaliser une image, il faut se forcer, affronter la difficulté. Certaines illustrations se sont imposées naturellement : La Reine par exemple est dans un fauteuil roulant (je n’avais pas envie de la représenter de manière traditionnelle), j’ai un vieux fauteuil comme celui là à la maison ; le lapin est venu tout seul, tout simplement.

 

 

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D’autres images ont été impossibles à réaliser par exemple la scène de départ que tout le monde à en tête dans laquelle Alice tombe dans le puits au début de l’histoire. Ce que j’ai fait était très laid, pas montrable, c’est le seul dessin de l’album que j’ai jeté.

J’ai voulu aller au bout des illustrations, en multipliant les détails.

 

Quand aux crayonnés, ils sont venus un peu par hasard. Heureusement j’ai manqué de temps pour tout illustrer avec de la couleur, alors ils se sont imposés, ils permettent une respiration dans le texte. Le dessin au crayon est un vrai plaisir, rapide, précis. Parce qu’en fait je suis très complexée par rapport au dessin, j’ai toujours besoin de progresser, de m’améliorer. (NDLR : bon, là il faut bien avouer que j’ai du répéter plusieurs fois la question tellement j’étais surpris de cet aveu, de cette remarque).

 

J’avais déjà travaillé de cette façon sur un album  Le grand courant d’air

 

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8. Comment avez vous choisi d’illustrer cette histoire? Qu’est-ce qui a guidé vos choix ? Bon là j’avoue, je me suis « gauffré » sur la question qui était ratée, à cause du chat que j’avais zappé (et pourtant : page 71, était-il possible de manquer un sourire pareil ?). Voilà du coup, Rébecca m’a tout expliqué et je suis revenu à la raison.

Parole à la pro :

 

RD : il y a douze chapitres dans le livre. Pour chaque chapitre j’ai décidé de faire un portrait et une grande scène.  Alice au pays des Merveilles c’est une histoire à séquence, à sketche. Je me suis donc organisée avec le scénario, avec ma liste des personnages, des scènes qui devaient être représentées.

 

Et puis, il y a le texte : j’ai besoin de savoir quelle tête va avoir le livre. Impossible de lâcher mes images sans savoir comment elles vont être utilisées. Nous étions d’accord sur le fait qu’il serait un grand livre, qu’il y aurait de grandes marges blanches, des arabesques. Je dois commencer par la typographie en fait quand j’illustre un album pour pouvoir ensuite me mettre au dessin. Je suis très heureuse du résultat final (nous aussi !)

 

9. De livres en livres, il y a bien évidemment votre patte, votre marque de fabrique, mais on est toujours surpris et emporté dans un autre univers, vers une autre facette de vos talents et de votre imaginaire : comment faites vous pour nous surprendre et nous enchanter à chaque fois ?

 

RD : Une question qui  fait plaisir ! J’essaye de me renouveler, de m’améliorer. J’ai plus de pression qu’avant de la part de l’éditeur, qui est plus regardant, on m’attend au tournant. Alors avec Alice, j’ai voulu aller le plus loin possible dans le détail, la facture, dans ce que je savais déjà faire. Mes dessins sont précis, je dois par exemple avec les personnages toujours prendre garde de me renouveler, de ne pas faire toujours les mêmes personnages. J’ai beaucoup travaillé par rapport à l’idée du rêve, en déformant les lignes de fuite, en travaillant les détails.

 

NDLR : On sent la volonté de toujours vouloir se renouveler, d’aller plus loin, de ne  pas se reposer sur ses lauriers. Une très grande exigence par rapport à elle même, par rapport à son travail.

 

10. En visitant votre site, j’ai eu le plaisir de trouver deux petites vidéos, vous montrant au travail. Vous nous avez d’ailleurs autorisés à les mettre en ligne (bon là je les renverrai au lien de la chronique). J’ai trouvé cette initiative formidable de vous voir colorer, de voir les dessins prendre vie… les enfants de mon entourage qui les ont vus en sont encore baba ! Qui a eu cette idée ?

 

RD : Les films c’est moi qui les ai voulus. C’est ma fille (Mona 13 ans) qui les a réalisés. (bravo Mona !)

 

 

Donc forcément, vous n’y échapperez pas : comment travaillez vous ? Variez vous les techniques, les matériaux…

 

RD : Je travaille sur des grands formats environ 140% plus grands : crayonnés, calques, replacés sur ordinateur si nécessaire (parfois déformés) puis réimprimés, reportés au propre et terminés à la gouache.

 

Pour moi varier les matériaux n’est pas forcément utile, ce n’est pas très important. Ce qui compte c’est la composition, le contenu. Je trouve qu’on peut très vite tomber dans la décoration, que les images ont moins de poids, moins d’émotion. Pour moi un portait est plus fort émotionnellement.

 

11. Quels sont vos projets, vos envies pour la suite ? Si cela ne relève pas du secret d’état ? Vous aviez l’année dernier sorti un book plus adulte. Des envies de vous partager entre les deux univers ?

 

RD : j’ai plusieurs projets en chantier !

-       le premier est une collaboration avec mon ami et complice Philipe Lechermeier , chez Thierry Magnier. Il s’appellera : « Une Bible ». Philippe s’est approprié le texte pour le réécrire avec ses mots, mais attention sans réinventer le texte, par de la poésie, du théâtre, des dialogues…. Ce n’est absolument pas une parodie. C’est très fidèle au texte, et je dois me charger des illustrations. Il fera 350 pages environ ! Il va falloir que je mette les bouchées doubles. Il est prévu pour l’automne prochain.

 

-       Pour 2012, j’ai un projet qui est celui d’illustrer un roman adulte : celui d’Alessandro Baricco  Soie.  J’ai prévu de faire des peintures, des objets.

 

 

-       Enfin j’ai un nouveau projet de film d’animation avec Taï-Marc Le Thanh. Une sorte de road movie. Mais contrairement à Kerity, je serai associée pleinement à la mise en scène. La base est le personnage d’Elvis (issu de notre album). Un travail sur le long terme.

 

Pour ce qui est d’aller vers l’adulte, la question ne se pose pas ainsi. Oui c’est intéressant, mais je ne fais pas de livres pour les enfants ou les adultes. Je fais des livres pour les gens. Les albums jeunesse ont un côté plus détendu. D’ailleurs quand je fais des dédicaces, nombreux sont les adultes qui viennent pour eux-mêmes. Les images peuvent être lues par n’importe qui.

 

12. Rébecca Dautremer : plus facile de s’imposer maintenant ?

 

RD : Bien évidemment cela facilite les choses. Le succès des princesses par exemple a entrainé celui des autres. Je suis plus libre de mes projets, et je pourrais travailler probablement partout aujourd’hui. Mon éditeur (Gautier Languereau) attend beaucoup de Rébecca Dautremer aujourd’hui peut-être davantage que pour les premiers albums. Pourtant cela reste difficile malgré la notoriété de s’imposer en toute liberté.

Je suis fidèle aux équipes avec lesquelles je travaille, et qui m’ont donné la possibilité de m’exprimer.

Et puis malgré tout, malgré le succès, il ne faut jamais s’endormir, toujours se renouveler…

 

 

 

Très sincèrement , un grand merci à Rébecca Dautremer d’avoir pris le temps de répondre à ces questions. D’avoir spontanément accepté l’entretien, d’avoir répondu aux demandes, plus ou moins bien formulées… L’entretien fut chaleureux et fort instructif. J’espère que cette retranscription vous apportera autant de plaisir que j’ai eu à la faire et vous permettra de découvrir un peu mieux encore cette illustratrice de talent totalement investie et passionnée.

 

Jean-Luc Clerc

 

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