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12 avril 2012

Eragon : découvrez le premier chapitre du tome IV : ici

Tout le monde le sait il sort la semaine prochaine, le 20 avril 2012, alors pour vous mettre l'eau à la bouche, voici le chapitre I du tome IV : à découvrir d'un clic ! 


 

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Merci aux éditions Bayard Jeunesse : tous droits réservés !



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Eragon IV - Le trailer par Bayard_Editions


 Pensez à réserver votre tome IV à la librairie auprès d'Amandine et de ses collègues 

03.81.82.00.88 
sandales-jeunesse@orange.fr


 CHRISTOPHER PAOLINI ou LA CRYPTE DES ÂMES

 

L’héritage IV

 

 

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne Delcourt et Marie-Hélène Delval

 

 

 

Comme toujours, je dédie ce livre à ma famille.

Et aussi aux rêveurs de rêves :

tous les illustrateurs, conteurs et musiciens

qui ont permis à ce voyage d’exister.

 

 

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1

DANS LA BRÈCHE


Le rugissement de Saphira provoqua un mouvement de repli parmi les soldats ennemis.

– Avec moi ! lança Eragon en élevant Brisingr au-dessus de sa tête afin que tous la voient. La lame irisée jeta des éclats bleutés contre les nuées noires qui montaient de l’ouest.

– Pour les Vardens !

Une flèche siffla à ses oreilles. Il n’y prit pas garde. Les guerriers massés derrière le monticule de décombres sur lequel il avait grimpé lui firent écho, mugissant d’une seule voix :

– Pour les Vardens !

L’arme au poing, ils s’engouffrèrent par la brèche que Saphira avait ouverte dans l’enceinte extérieure, escaladèrent au pas de charge les blocs de pierre effondrés. Devant eux, deux cents soldats de l’Empire étaient massés dans une vaste cour, au pied d’un donjon noir, percé d’étroites meurtrières et flanqué de quatre tours carrées. Aux étages supérieurs, une lanterne brillait à une fenêtre. Quelque part dans la forteresse se trouvait Lord Bradburn, gouverneur de Belatona, la ville que les Vardens assiégeaient depuis des heures. Eragon bondit de son perchoir avec un cri de guerre. Il se tordit la cheville en se réceptionnant. Déséquilibré, il tomba sur un genou. Un soldat en profita pour lui projeter sa lance à la gorge. Eragon para le coup d’un revers de poignet ; Brisingr siffla.



Le soldat blêmit quand il comprit son erreur. Il n’avait pas reculé d’un pas que le Dragonnier lui plongeait son épée dans le ventre. Saphira sauta derrière lui et cracha un jet de flammes. L’impact ébranla toute la cour ; des fragments de la grande mosaïque qui recouvrait le sol jaillirent en tous sens, telles des pièces de monnaie jetées en l’air. Arya bondit à son tour. Ses longs cheveux noirs voltigeaient follement autour de son visage anguleux. Des éclaboussures sanglantes sillonnaient ses bras et son cou, rougissaient la lame de son épée. Seul un léger frottement de cuir contre la pierre signala son arrivée. La présence de l’elfe stimula Eragon. Il n’aurait pu souhaiter meilleure compagne de combat. Il lui adressa un bref sourire, auquel elle répondit par une mimique féroce, joyeuse. Au coeur de la bataille, sa réserve habituelle disparaissait, remplacée par une spontanéité qu’elle manifestait rarement en d’autres circonstances. Un rideau de flammes les sépara, et le jeune Dragonnier plongea derrière son bouclier. Les soldats se recroquevillèrent sous le torrent incandescent, sans qu’il leur cause le moindre mal. « Un sortilège les protège du feu », songea Eragon. Les archers postés sur les remparts du donjon décochèrent une volée de flèches. La chaleur que dégageait Saphira était si intense que certaines s’enflammèrent et retombèrent en cendres, tandis que la protection magique dont Eragon l’avait enveloppée détournait les autres. Soudain, un jet brûlant enveloppa trois des soldats, les carbonisant avant qu’ils aient eu le temps de pousser un cri. Les autres s’accroupirent au centre du brasier ; des éclairs bleutés fusèrent au bout de leurs lances. Cependant, malgré tous ses efforts, Saphira ne réussit pas même à roussir les survivants. Elle referma ses mâchoires avec un claquement découragé. Un grand silence tomba sur la cour. Un tel sortilège était l’oeuvre d’un habile magicien. « Est-ce Murtagh ? se demanda Eragon. Dans ce cas, pourquoi n’est-il pas ici avec Thorn pour défendre Belatona ? Galbatorix ne s’inquiètet- il donc pas de ses cités ? »

Il s’élança et, d’un seul balancement de Brisingr, décapita une douzaine d’armes de jet aussi aisément qu’il fauchait les épis d’orge au temps où il était un jeune fermier. Une cotte de mailles se fendit sous sa lame, laissant jaillir une fontaine de sang. Eragon éventra l’adversaire suivant, en repoussa un autre de son bouclier et l’envoya percuter trois de ses camarades, qui roulèrent les uns sur les autres. Les réactions des soldats lui semblaient lentes et maladroites, alors qu’il dansait impunément entre leurs rangs. À sa gauche, Saphira entra dans la mêlée, propulsant de ses énormes pattes les hommes dans les airs, les déchiquetant avec les pointes de sa queue, les tuant d’un coup de tête ou de crocs. À sa droite, Arya n’était qu’un tournoiement insaisissable, et chaque éclair de son épée signait l’arrêt de mort d’un serviteur de l’Empire. En esquivant une lance, Eragon aperçut près de lui Lupusänghren, l’elfe au pelage de loup, ainsi que les onze autres elfes chargés de sa protection et de celle de Saphira. Derrière eux, les Vardens se déversaient par la brèche ouverte dans le mur d’enceinte. Mais la proximité de la dragonne était trop dangereuse pour qu’ils se joignent au combat. D’ailleurs, ni elle, ni Eragon, ni les elfes n’avaient besoin de leur aide pour régler leur compte aux soldats. La bataille sépara bientôt Eragon et Saphira, les envoyant aux deux extrémités de la cour. Le Dragonnier ne s’en inquiéta pas. Saphira pouvait tenir tête à trente hommes. Une lance heurta violemment le bouclier d’Eragon et lui meurtrit l’épaule. Il fit volte-face pour affronter son assaillant, un costaud au visage couturé auquel il manquait les dents de devant. Celui-ci chercha en hâte la dague accrochée à sa ceinture. À la dernière seconde, Eragon pivota et lui enfonça son épaule douloureuse dans le sternum. Le choc projeta l’homme en arrière ; il s’effondra, les mains pressées contre sa poitrine. Une pluie de flèches empennées de noir s’abattit alors, faisant de nombreuses victimes parmi les soldats ennemis. Bien que confiant dans la magie qui l’enveloppait, Eragon s’abrita derrière son bouclier. Mieux valait se montrer prudent. Un magicien ennemi pouvait à tout instant enflammer un trait enchanté capable de briser le sort de protection. Un sourire amer lui étira les lèvres. Les archers postés sur les remparts venaient de comprendre que leur seul espoir de l’empor ter était de tuer Eragon et les elfes, quel que soit le nombre des leurs qu’il leur faudrait sacrifier. « Trop tard, songea le Dragonnier avec une sombre satisfaction. Vous auriez dû quitter l’Empire quand il en était encore temps. » Le bruyant déluge de flèches lui offrait un instant de repos bienvenu. L’assaut contre la cité avait été donné à l’aube, et, depuis le début, Saphira et lui étaient en première ligne. Quand la dangereuse pluie cessa, il fit passer Brisingr dans sa main gauche, ramassa la lance d’un soldat et la projeta vers les archers, quarante pieds plus haut. Il savait combien ce type d’arme est difficile à utiliser sans un sérieux entraînement. Il ne fut donc pas surpris de manquer sa cible. Mais il s’étonna de n’avoir atteint aucun des hommes alignés sur les remparts. La lance vola au-dessus de leur tête avant de s’écraser contre le mur du château. Les archers le huèrent avec de gros rires et des gestes obscènes. Captant du coin de l’oeil un mouvement furtif, Eragon eut juste le temps de voir Arya envoyer sa propre lance. Elle empala deux hommes qui se tenaient côte à côte. Puis l’elfe pointa son épée en criant : « Brisingr ! », et la lance s’enflamma. Les archers s’écartèrent en hâte des corps embrasés et, dans une folle bousculade, s’engouffrèrent par les portes menant aux étages supérieurs du château.

– Ce n’est pas juste, protesta Eragon. Moi, si j’utilise cette formule, mon épée se transforme en feu d’artifice ! Arya lui décocha un regard teinté d’une pointe d’amusement.

 

Les combats se poursuivirent encore quelques minutes, après quoi les derniers soldats optèrent pour la fuite ou la reddition. Eragon laissa s’échapper les cinq hommes qui lui faisaient face, sachant qu’ils n’iraient pas loin. Ceux qui gisaient autour de lui étaient morts. Un groupe de Vardens avait déjà ouvert le portail de l’enceinte et transportait un bélier vers le château. D’autres s’assemblaient en désordre devant la porte du donjon, prêts à y pénétrer pour affronter les soldats réfugiés à l’intérieur. Parmi eux, Eragon reconnut son cousin Roran, encourageant le détachement qu’il commandait à grand renfort de moulinets de son inséparable marteau. À l’extrémité de la cour, Saphira, ses écailles bleues rougies de sang, rejeta en arrière sa tête hérissée de pointes et poussa un rugissement féroce, triomphal, qui couvrit les clameurs.

On entendit alors un cliquetis de chaînes, un grincement de poulies, un raclement de poutres. Tous les regards convergèrent vers les portes du donjon. Avec un grondement sourd, les battants s’ouvrirent, laissant s’échapper un nuage de fumée émis par les torches. Un martèlement de sabots ferrés monta des profondeurs obscures, puis un cheval et son cavalier jaillirent à l’extérieur. De sa main gauche, le cavalier tenait ce qu’Eragon prit d’abord pour une lance ordinaire avant de remarquer l’étrange métal vert dont elle était faite et la forme inhabituelle de sa lame dentelée. À la lueur qu’elle émettait, il sut qu’elle était chargée de magie. Le cavalier tira sur les rênes pour diriger sa monture vers Saphira, qui se cabra, prête à lancer un coup de patte mortel. L’angoisse saisit Eragon. Cet homme était trop sûr de lui, sa lance trop étrange. Malgré le sort de protection dont il l’avait entourée, Saphira était en danger.

« Je ne pourrai pas entrer en contact avec elle à temps », comprit-il. Il projeta son esprit vers le cavalier, mais celui-ci, totalement concentré, n’offrait au garçon qu’un accès superficiel à sa conscience. Se retirant en lui-même, Eragon choisit une demi-douzaine de mots en ancien langage pour composer un sort simple capable de stopper net l’élan du cheval. C’était une tentative désespérée, car il ignorait si le cavalier n’était pas lui-même magicien et quelles précautions il avait pu prendre contre une attaque magique. Mais la vie de Saphira était menacée.

Il révisa mentalement la prononciation de plusieurs sons difficiles. Puis il inspira profondément et se prépara à jeter le sort. Les elfes furent plus rapides que lui. Il n’avait pas émis un mot qu’une incantation monta derrière lui.

– Mäe...

Ce fut tout ce qu’il sut dire, alors que la magie des elfes opérait déjà. Sous les sabots du cheval, la mosaïque bougea, les tesselles de verre se mirent à couler comme de l’eau. Une longue fissure s’ouvrit dans le sol. Avec un hennissement de détresse, l’animal trébucha dans la crevasse, se brisant les deux jambes de devant. Tandis que monture et cavalier tombaient, celui-ci leva le bras et projeta la lance étincelante vers Saphira. Elle tenta de la détourner d’un coup de patte. Elle la manqua de quelques pouces, et la lame s’enfonça profondément dans sa poitrine, juste sous la clavicule. Une vague de rage obscurcit la vision d’Eragon. Il puisa dans ses réserves d’énergie : celles que recélaient son corps, celles du saphir serti dans le pommeau de son épée et celles des douzediamants cachés dans la ceinture de Beloth le Sage ; il puisa dans Aren, l’anneau elfique ornant sa main droite. Et il se prépara à anéantir le cavalier, au mépris du risque encouru.

C’est alors que Lupusänghren bondit. L’elfe se plaqua contre le dos du cavalier telle une panthère sur un daim et déchira sauvagement la gorge de l’homme de ses longues dents blanches. Au même instant, un cri déchirant, désespéré, tomba d’une fenêtre, au-dessus de la porte du donjon, aussitôt suivi d’une violente déflagration, qui projeta des blocs de pierre parmi lesVardens, écrasant des torses et brisant des membres comme de vulgaires brindilles.

 

Sans se soucier de la pluie de pierres, Eragon courut vers Saphira, à peine conscient de la présence d’Arya et de ses gardes à ses côtés. D’autres elfes, plus proches, s’étaient déjà assemblés autour de la dragonne et examinaient la lance qui dépassait de sa poitrine.

– Est-ce grave ? Est-elle... ? balbutia le garçon, trop bouleversé pour achever sa phrase.

Il aurait voulu s’adresser à elle mentalement, mais il n’osa explorer sa conscience, au cas où des magiciens ennemis se seraient trouvés à proximité. Pas question qu’ils pénètrent ses pensées ou prennent le contrôle de son corps !

Après une attente qui lui parut interminable, Wyrden, l’un des elfes, déclara :

– Tu peux remercier le destin, Tueur d’Ombre ! La lance a manqué l’artère. Elle n’a touché que le muscle, et le muscle, nous savons le réparer.

– Pouvez-vous la retirer ? Elle n’est pas chargée d’un sort qui empêcherait de...

– Nous allons nous en occuper, Tueur d’Ombre. Avec une gravité de prêtres autour de l’autel, les elfes appuyèrent leurs paumes contre le poitrail de Saphira et, d’une voix semblable au murmure du vent dans les saules, ils entamèrent un chant. Il parlait de chaleur et de croissance, de muscles et de tendons, du sang battant dans les veines et d’autres thèmes plus obscurs. Au prix d’un immense effort de volonté, Saphira resta immobile tant que dura l’incantation, malgré les spasmes qui parcouraient son corps. Un filet sanglant s’écoulait de la blessure, là où la hampe dépassait de sa chair. Sentant que Lupusänghren s’approchait de lui, Eragon lui lança un coup d’oeil. La fourrure bleu nuit de son menton et de son cou, maculée de sang, avait viré au noir.

– Qu’est-ce que c’est ? s’enquit Eragon en désignant les flammes qui dansaient encore devant une fenêtre dominant la cour.

L’elfe se lécha les lèvres, dévoilant ses crocs de félin, avant de répondre :

– Juste avant qu’il meure, j’ai pénétré l’esprit du cavalier et, à travers lui, l’esprit du magicien qui l’assistait.

– Ce magicien, vous l’avez tué ?

– On peut dire ça. Je l’ai obligé à se tuer. Habituellement, je n’ai pas recours à des procédés aussi mélodramatiques, mais j’étais... énervé.

Eragon s’approchait de Saphira quand un long gémissement de la dragonne le figea sur place. La lance s’était mise à glisser d’elle-même hors de son poitrail. Elle respira à petits coups tandis que les six derniers pouces de métal sortaient de son corps. La lame dentelée, diffusant encore une lueur émeraude, tomba à terre et rebondit sur les pavés avec un bruit de poterie cassée. Dès que les elfes, cessant leur chant, eurent retiré leurs mains, Eragon se rua vers Saphira et lui caressa le cou. Il voulait la réconforter, lui dire combien il avait eu peur, mêler son esprit au sien. Il se contenta de plonger le regard dans son oeil bleu pour demander : « Ça va ? »

Deux mots bien dérisoires comparés à l’intensité de ses émotions.

Saphira répondit d’un clignement de paupière. Puis elle luisouffla gentiment à la figure son haleine chaude. Eragon sourit. Il se tourna vers les elfes qui avaient participé à la guérison, parmi lesquels se trouvait Arya, et les remercia en ancien langage :

– Eka elrun ono, älfya, wiol förn thornessa.

Les elfes s’inclinèrent, la main droite repliée contre la poitrine, dans un geste de respect propre à leur peuple. Eragon remarqua combien ils étaient pâles et mal assurés sur leurs jambes.

– Allez vous reposer, leur dit-il. Ne prenez pas le risque de vous faire tuer. Retirez-vous, c’est un ordre !

Avec un salut contraint, les sept elfes répondirent :

      Comme tu veux, Tueur d’Ombre. 

Et ils quittèrent la cour en enjambant les débris et les cadavres. Même à la limite de l’épuisement, ils conservaient toute leur noblesse.

Eragon rejoignit alors Arya et Lupusänghren qui examinaient la lance, l’air perplexe. Il s’accroupit à leurs côtés, prenant soin de ne pas même effleurer l’arme enchantée. Il admira le motif délicat gravé à la base de la lame. Ces lignes avaient quelque chose de familier, mais quoi ? Il étudia la hampe verte, taillée dans une curieuse matière, ni bois ni métal ; il observa le halo lumineux qui rappelait les lanternes sans flammes des elfes et des nains.

– C’est l’oeuvre de Galbatorix, non ? supposa-t-il. Peut-être a-t-il décidé de nous tuer, Saphira et moi, plutôt que de nous capturer ? Peut-être nous considère-t-il comme une menace ?

Lupusänghren eut un sourire sinistre :

– À ta place, je ne me bercerais pas de telles illusions, Tueur d’Ombre ! Nous ne représentons qu’une contrariété mineure pour Galbatorix. S’il voulait vraiment ta mort ou la nôtre, il lui suffirait de voler sur nous depuis Urû’baen et de prendre part en personne à la bataille. Nous serions balayés comme des feuilles au vent d’hiver. La force des dragons est en lui, et personne n’égale sa puissance. D’ailleurs, si fou soit-il, Galbatorix ne manque ni d’intelligence ni de détermination. S’il décide de t’asservir, il n’aura de cesse qu’il n’ait atteint son but, et rien ne l’en détournera sinon son instinct de conservation.

– De toute façon, intervint Arya, ceci n’est pas l’oeuvre de Galbatorix. C’est la nôtre.

Eragon fronça les sourcils :

– La nôtre ? Cet objet n’a pas été fabriqué par les Vardens.

– Pas par les Vardens, par un elfe.

– Mais...

Il s’interrompit, à la recherche d’un argument logique :

– Mais aucun elfe n’accepterait de travailler pour Galbatorix !

Ils aimeraient mieux mourir que...

 

– Galbatorix n’a rien à voir avec ça, le coupa Arya. Et, si c’était le cas, il ne confierait jamais une arme aussi rare et aussi puissante à un homme aussi peu capable de la conserver. De tous les instruments de guerre disséminés à travers l’Alagaësia, celui-ci est le dernier que Galbatorix voudrait laisser entre nos mains.

– Pourquoi ?

Avec une sorte de ronronnement dans sa voix grave, Lupusänghren répondit :

– Parce que, Eragon Tueur d’Ombre, ceci est une Dauthdaert.

– Et son nom est Niernen, l’Orchidée, ajouta Arya en désignant les lignes gravées dans la lame.

Eragon s’aperçut alors qu’il s’agissait de glyphes stylisés, typiques de l’écriture des elfes, des arabesques entremêlées terminées par de longues pointes en forme d’épines.

– Une Dauthdaert ?

Voyant qu’Arya et Lupusänghren le fixaient avec incrédulité, il haussa les épaules, embarrassé par son inculture. Il enrageait à l’idée que les elfes avaient bénéficié de décennies pour étudier avec les meilleurs professeurs, alors que son oncle Garrow ne lui avait même pas enseigné l’alphabet, jugeant la chose inutile. Eragon n’avait appris à lire que récemment.

– J’ai eu peu de temps pour consulter des ouvrages, se justifia- t-il. Qu’est-ce que c’est ? Cette arme a-t-elle été forgée au temps de la Chute des Dragonniers, pour être utilisée contre Galbatorix et les Parjures ?

Lupusänghren secoua la tête :

– Niernen est beaucoup plus ancienne.

– Les Dauthdaertya, expliqua Arya, sont nées de la peur et de la haine qui ont marqué les dernières années de notre guerre contre les dragons. Nos plus habiles forgerons, nos plus talentueux magiciens les ont fabriquées à partir de matières désormais oubliées. Ils les ont imprégnées d’enchantements disparus de nos mémoires et ont donné à chacune des douze le nom d’une fleur, choisie parmi les plus belles. Affreuse ironie quand on songe qu’elles ont été conçues dans un seul but : tuer les dragons. Eragon regarda la lance lumineuse avec dégoût :

– Et elles l’ont fait ?

– Ceux qui en ont été témoins disent que le sang des dragons tombait du ciel comme une averse d’été.

Saphira émit un sourd sifflement de colère. En se tournant vers elle, Eragon remarqua que les Vardens tenaient toujours leur position devant le donjon, attendant que Saphira et lui reprennent le commandement.

– Nous pensions que toutes les Dauthdaertya avaient été détruites ou définitivement perdues, reprit Lupusänghren. D’évidence, nous nous trompions. Niernen a dû passer entre les mains de la famille Waldgrave, et être tenue cachée ici, à Belatona. Je suppose que, lorsque nous avons percé cette brèche dans l’enceinte de la cité, Lord Bradburn a flanché et ordonné qu’on tire Niernen de l’armurerie dans l’espoir de vous arrêter, Saphira et toi. Nul doute que Galbatorix sortirait de ses gonds s’il apprenait que Bradburn a tenté de vous tuer.

Tout en ayant conscience que le temps pressait, Eragon était dévoré de curiosité :

– Dauthdaert ou pas, vous ne m’avez toujours pas dit pourquoi Galbatorix ne voudrait pas la savoir entre nos mains. Il désigna la lance :

– Qu’est-ce qui rend Niernen plus dangereuse que n’importe quelle arme ou même que Bris...Il se reprit de justesse :

– Que mon épée ?

Ce fut Arya qui répondit :

– Elle ne peut être ni brisée ni altérée par le feu. Et elle est totalement imperméable à la magie, comme tu as pu le constater. Les Dauthdaertya ont été conçues pour résister à n’importe quel sort lancé par les dragons et pour protéger de la même façon celui qui les manie. Une perspective effrayante, si on considère combien la magie des dragons est complexe et imprévisible. Galbatorix aura beau envelopper Shruikan et lui-même de plus de sorts de protection que quiconque en Alagaësia, il n’est pas exclu que Niernen sache percer ses défenses.

Un sentiment de jubilation envahit Eragon :

– Alors, nous devons...

Un son aigu l’interrompit.

C’était un cri perçant, irritant, un grincement de métal contre la pierre qui lui agaçait les dents. Il grimaça et se couvrit les oreilles des mains, cherchant à localiser l’origine de ce bruit. Saphira secoua la tête, et, malgré le vacarme, il perçut son gémissement d’angoisse. Eragon balaya la cour des yeux à deux reprises avant de remarquer un léger nuage de poussière s’élevant le long du donjon. Il s’échappait de la fissure apparue sous la fenêtre noircie et partiellement détruite par Lupusänghren quand il avait tué le magicien. Le cri montant en intensité, Eragon  décolla une main pour désigner la fente.

– Regarde ! lança-t-il à Arya, qui hocha la tête pour signifier qu’elle avait vu.

Il plaqua de nouveau la main sur son oreille. Sans raison apparente, le bruit cessa. Eragon attendit un moment avant d’abaisser lentement les mains, déplorant pour une fois d’avoir l’ouïe aussi sensible. Au même instant, la fissure s’agrandit de plusieurs pieds et se mit à courir le long du mur de haut en bas, jusqu’à la clé de voûte au-dessus de la porte ; une grêle de pierres martela le sol. Tout le bâtiment gronda et, depuis la fenêtre endommagée jusqu’au linteau brisé, la façade du donjon pencha vers l’avant.

– Courez ! hurla Eragon aux Vardens, qui se dispersaient déjà, anticipant la chute du mur. Tous ses muscles crispés, il chercha Roran des yeux. Il le repéra enfin, piégé près de la porte derrière le dernier groupe d’hommes auxquels il hurlait des ordres qui se perdaient dans la panique. Puis le mur trembla, s’écarta de plus en plus du reste du bâtiment. Pour éviter la chute de débris, Roran dut se réfugier sous le surplomb de la porte. Quand il se redressa, ses yeux rencontrèrent ceux d’Eragon, et celui-ci lut dans le regard de son cousin la peur et l’impuissance, vite suivies d’un éclair de résignation, comme s’il savait que, aussi rapide fût-il, il n’avait aucune chance de se mettre à l’abri à temps. Un sourire ironique lui étira les lèvres. Et le mur s’écroula.

 

Suivi éditorial : Anne Lauricella

Ouvrage publié originellement par Random House Children Books,

un département de Random House Inc.,

sous le titre The Inheritance or The Vault of Souls

Texte © 2011, Christopher Paolini

Illustration de couverture : John Jude Palencar

Illustrations pages 8 et 9 © 2002, Christopher Paolini

Pour la traduction

© Bayard Éditions, 2012

18, rue Barbès, 92128 Montrouge Cedex

ISBN : 978-2-7470-2855-4

Dépôt légal : avril 2012

Première édition

Loi 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse

Reproduction, même partielle, interdite.

Merci et avec l’aimable autorisation des éditions Bayard Jeunesse. Tous droits réservés !

 

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