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02 décembre 2010

Interview Simon Moreau, illustrateur de la pêche à la lanterne

Simon Moreau est l'illustrateur de La pêche à la lanterne l'album des éditions chocolat jeunesse dont nous vous avons parlé il y a quelques jours. Il a eu la gentillesse de répondre à nos questions. Voici son interview. Toutes les images renvoient bien évidemment à la chronique du livre ou à son site

 

pêcheàlalanterneD.jpg

 

1. Bonjour Simon, pourriez vous vous présenter pour nos lecteurs ?

 Bonjour, alors attention préparez la voix de 1930 et le ventilo pour faire le bruit de la camera... 

Après un lycée en Arts Appliqués (E.S.AA.T de Roubaix), j'ai fait deux ans de DMA (Diplôme des Métiers d'Arts - E.S.A.A.T) où j'ai appris l'animation traditionnelle (2D) et ai développé un projet de court métrage nommé "Lili", comprenant une bible graphique complète (story board, turn-around des personnages, recherches graphiques, etc) et un plan finalisé du film.

La méthode que j'avais utilisé à l'époque pour faire ce plan a joué un rôle très important pour la suite de mon parcours : nous avions 2 à 3 heures par semaine d'apprentissage d' un logiciel 3D. Etant pratiquement l'un des seuls élèves à venir à cette matière, elle fut rapidement supprimée. Je décide alors malgré tout de continuer à apprendre ce logiciel en autodidacte et avec l'aide de mon professeur. Fasciné par la 3D et ses possibilités, je décide d'utiliser cette technique pour mon film. J'ai donc modélisé mes personnages, textures, skinning... mais pas de rendu d'image.

 

Car j'avais dès le départ dans l'idée d'utiliser la 3D comme base de rotoscopie. J'ai donc imprimé image par image mon plan 3D, puis l'ai retouché intégralement aux crayons de couleurs et à l'acrylique. Passer d'une image numérique à une image "traditionnelle", c'est cette technique que j'applique encore aujourd'hui et que j'ai fait évoluer. 

Par la suite j'ai voulu acquérir de vraies bases solides en 3D et j'ai passé le concours d'entrée en cycle supérieur d'infographie à Supinfocom Valenciennes. Durant la deuxième année du cursus, j'ai réalisé avec Bastien Dubois et Joris Bacquet un court métrage de 7 minutes intitulé "AH". 

Avec ce court métrage en poche, j'ai emménagé à Paris et j'ai travaillé durant trois ans

où j'ai créé et coréalisé avec Joris divers jingles publicités et génériques d'Èmissions TV tels que NRJ12, DAS VIERTE, STAR CHANNEL, "M6 maison à vendre" ou encore "L'édition Spéciale" de CANAL+... 

Voulant revenir à mes premiers amours, le dessin et l'illustration, je me suis installé à mon compte et j'ai développé plusieurs projets de livres pour enfants dont l'histoire de "Lili" adaptée pour l'occasion. J'ai ainsi rencontré, au salon du livre de Montreuil 2009, Raphaël Baud des Editions Chocolat! Jeunesse qui m'a fait confiance et m'a permis de réaliser mon rêve, sortir un livre !

 

"Lili" devient alors "La pêche à la lanterne", cependant ce nom restera pour la luciole.

 

2. Vous avez illustré "La pêche à la lanterne" sur un texte de Mathieu Sabarly. Nous on veut tout savoir : comment avez vous travaillé , Le connaissiez vous ? Qui de l'illustrateur ou du conteur mène la danse ?

Du coup, Raphaël avait aimé un univers et un style graphique mais aussi un scénario. Bien évidemment cela ne reste qu'un texte explicatif de base et ne peut surement pas servir de texte littéraire. N'ayant aucun talent pour l'Ècriture, c'est très naturellement que la nécessité de faire appel à un auteur s'est fait ressentir. Raphaël m'a alors proposé de collaborer avec Mathieu, avec qui il travaille souvent et qui connaît bien le style "Chocolat!". Afin que Mathieu sache ce que chaque image raconte et le déroulement des actions, je lui ai dans un premier temps, envoyé le découpage du livre sous forme de croquis.

Il faudra lui demander son avis, mais je pense que l'exercice dans ce sens la est assez difficile car l'enjeu est de savoir quoi raconter d'autre que ce qui se passe visuellement, une "redite" ne suffit pas. Pour ma part c'était presque impossible car j'avais crée cette histoire à la base pour qu'elle soit muette et que l'action se suffise à elle même, c'est pour cela que l'intervention d'une nouvelle personne "fraiche" sur le projet Ètait indispensable.

A ma grande surprise et Èvidemment très grande joie, Mathieu m'avait envoyé une première version du texte quasi parfaite ! C'est à ce moment l‡ que je me suis rendu compte de l'importance du texte, ce qu'il apporte à l'image et du talent qu'il faut avoir pour le créer. Mathieu a répondu à l'exercice avec brio car il a donné une vraie profondeur à l'histoire. Par exemple, j'ai beaucoup aimé le fait que Martin (le petit pêcheur à la lanterne) parle de son père. Chose a laquelle je n'avais jamais pensé. Cela permet d'en savoir plus sur le personnage, sur son passé, ses Èmotions et aussi de donner de la complicité avec un autre personnage qu'on ne voit jamais à l'image.

Et puis le style d'écriture de Mathieu très poétique mais aussi très simple, direct, sans artifices, on ne tombe jamais dans le gnangnan. Martin parle au lecteur directement et nous raconte l'histoire avec des mots assez familiers, cela donne énormément de tendresse pour ce duo garçon/luciole. Merci Mathieu ! 

3. Ce conte frise parfois le fantastique avec Lili mi libellule mi machine et la fin lorsque Martin monte sur l'Èchelle à la recherche de la plus belle Ètoile. On pense à ce moment au film Nocturna, la nuit magique. Un hasard, une référence assumée ?

J'ai inventé l'histoire en 2003, en DMA donc, dans une classe assez passionnée par l'animation 2D.

Et dès qu'il y avait un nouveau « trailer » de dessin animé, tout le monde se précipitait pour le voir. Cette année là, tout le monde avait été bluffé par le teaser de Nocturna.

Ce qui est fou, c'est qu'il a influencé pas mal de monde juste avec ces extraits, car le film est sorti bien après en 2008 et il est un peu passé inaperçu en France.

Mais oui et c'est totalement assumé, j'ai été très influencé par Nocturna. Si je devais citer d'autre fortes influences je dirais aussi "La cité des enfants perdus" de Jean-Pierre Jeunet, "Princesse Mononoké" de Hayao Miyazaki, "Peter Pan" de Régis Loisel, "Les gardiens du Maser" de Frezzato et l'album musical "Ágætis byrjun" de Sigur Rós, groupe islandais.

J'ai aussi été très guidé par la musique de mon frère (Mathieu Moreau) créée à l'époque à la guitare pour le projet de court métrage "Lili", elle m'a beaucoup inspiré et ému.

Bon sinon j'avoue j'ai inventé cette histoire pour plaire à mon amie, comme un poème dessiné... et ben oui c'est comme ça !

De toutes ces influences, informations, expériences...après avoir fait une espèce de gros "shaker" dans ma tête, j'espère n'en n'avoir extrait que l'essence et développé un univers personnel.

4. C'est une histoire étrange, douce et parfois inquiétante que celle de ce petit garçon seul sur son étang, avec sa Lili et ce fond vert sombre en permanence. Pourtant on se sent bien dans cette histoire et à aucun moment on ne se sent inquiet, mal à l'aise. Comment crée-t-on une atmosphère ?

Pour moi créer une atmosphère passe par l'histoire et surtout ses symboliques. Ici la luciole symbolise la lumière dans les ténèbres, l'espoir. Nous ne sommes pas inquiets dans cet univers car il est familier, on l'a déjà vécu étant enfant dans notre lit regardant cette veilleuse brillante et rassurante.

Ensuite le texte donne le ton, le fait qu'il soit poétique et décrive une histoire d'amitié et d'amour, le petit garçon et la luciole s'entraident et comptent l'un sur l'autre, cela conforte cette idée d'optimisme dans un univers sombre.

Les cadrages sont aussi très importants, pour moi comme au cinéma, le cadrage raconte quelque chose. Par exemple une image en contre-plongée est plus impressionnante, dramatique qu'une image en plongée qui décrit plutôt une situation, une vue globale.

Pour ce qui est de l'image pure, et de la dominante verte qui donne un côté fantastique, je l'ai utilise car j'aime le fait qu'elle soit une vraie intention graphique. Elle est artificielle et irréelle donc forcément intentionnelle. Cette histoire est donc inventée, ce qui est rassurant. Mais on ne peut ignorer que cette couleur est très codée et souvent utilisée pour les histoires d'épouvante ou les films de vampires, cela donne une espèce de brouillard un peu nauséabond assez inquiétant.

J'ai essayé de contrecarrer ce sentiment oppressant par une vue assez nette donnée par une nuit claire parsemée d'Ètoiles scintillantes, des nuages gonflés, aux formes rondes et les roseaux qui donnent un petit indice sur la proximité de la terre ferme. Mais c'est surtout grâce à la couleur très chaude jaune orangée de la luciole que j'ai pu égayer l'image.

Cette couleur est très apaisante mais lorsque la luciole s'éteint, l'univers n'est plus éclairé que par les étoiles. C'est au moment le plus angoissant de l'histoire que le personnage fait découvrir au lecteur un deuxième univers encore plus poétique. Le personnage sait ce qu'il fait, il connait son environnement et nous sécurise par la même occasion. 

Finalement, le seul vrai danger vient des eaux sombres et de ses habitants : des gros poissons rouges qui n'écoutent finalement bien que leur instinct et ne sont pas foncièrement méchants.

 

5. Comment travaillez vous ? De pages en pages, Lily est la source principale de lumière au point de pratiquement disparaître quand elle est en danger. Comment parvient-on à créer la lumière dans une page ?

Je fais beaucoup de recherches dans un premier temps en séparant bien les taches comme on le fait pour un film d'animation. Je fais des recherches de décors, couleurs, personnages et en ne me limitant pas à une seule technique et support. Je peux très bien faire une série de croquis aux crayons gris sur un carnet, puis faire une toile aux acryliques ou encore modéliser un personnage en 3D pour mieux m'approprier ses volumes et les comprendre. La 3D m'aide aussi beaucoup pour les cadrages, comme une sorte de maquette en carton ou je peux me balader librement. Après les "ingrédients" sélectionnés je m'arrête sur un style graphique et une palette de couleurs, car j'aime qu'un univers soit cohérent.

Ensuite, je fais le découpage du livre en croquis, aux crayons gris.

Dans cette étape j'établi la composition, le cadrage final de chaque illustration et choisis quelles pages sont simples ou doubles.

Après validation de Raphaël, et réception du texte de Mathieu.

Je fais les changements nécessaires par exemple au début le petit garçon avait un sweat-shirt à capuche et des baskets, Raphaël trouvant cela trop contemporain m'a demandé de lui trouver quelque chose de plus intemporel, j'ai donc remplacé le sweat par un pull flottant et les baskets par des bottes assez simples. Finalement c'est bien mieux comme ça et ça lui donne un p'tit côté "pirate" attachant.

 

Je scanne tous les dessins et je procède à une mise en couleur rapide dans Photoshop (le fameux logiciel de retouche d'images).

Une fois les couleurs "placées", j'imprime mon illustration au format A3 sur papier canson que je retouche intégralement aux crayons de couleurs. Cela me permet de ne me concentrer que sur la mise en couleur et les détails et ainsi être très efficace. Car une fois imprimée, une illustration peut prendre entre un ou deux jours selon les cas à être crayonnée (j'vous raconte pas le stock de crayons verts !).

Je scanne le résultat, règle les contrastes dans photoshop puis gomme deux trois poussières et imperfections.

Pourquoi autant d'étapes ? car c'est rapide et important pour moi d'avoir un résultat "fait main" qui ne soit pas un effet puisque c'est vraiment du travail à la main".

Pour ce qui est de la lumière, c'est vrai que la luciole m'as permis de jouer avec les clairs-obscurs et l'ambiance générale au fil du récit. Pour gérer la lumière dans une page, j'ai essayé de ne pas trop me compliquer la tache. Ici j'ai donc deux sources de lumières : les Ètoiles, constantes et qui de loin créent une unité. Elles donnent une direction de lumière qui vient du dessus, elles créent l'atmosphère du ciel mais permettent aussi de "déboucher" du noir les volumes, les faire ressortir. La lumière vient taper les personnages ou le bateau par exemple et donner un liseré vert sur les côtés non éclairés par la luciole. La première source lumineuse étant définie, je peux me concentrer pleinement sur la deuxième source qui est la plus forte (car la plus proche des personnages) : la luciole. Je juge sa zone d'impact (jusqu'où va-t-elle) et son intensité variable selon les situations (allumée ou non).

Pour obtenir une lumière intense, je pars du blanc soutenu vers un dégradé jaune qui termine en orangé pour se fondre dans les verts. Au contraire lorsque la luciole est presque éteinte, j'élimine presque tous les blancs et applique plus discrètement les touches de jaune-orange.

De manière générale, j'ai utilisé des couleurs très foncées sur toute l'image pour que les blancs et donc la lumière contraste très fortement et donne cette impression de brillance.

 

rsz_la_peche_a_la_lanterne_couverture.jpg

 

6. Quelles sont vos sources d'inspiration ? Vos modèles ? Vos projets ?

La musique m'inspire et me fait rêver, des artistes comme "Antony and the johnsons", "Elliott Smith" ou les albums  solo de "John Frusciante" (guitariste des Red hot Chili Peppers) me transportent. Je ne fais pas l'effort de traduire ces musiques anglophones ou de langues étrangères pour laisser libre court à mon imagination. Aucun élément ne vient désigner comment doivent être mes images.

Evidemment, il y a des peintres qui me fascinent comme "William Turner" pour le dynamisme de ses compositions ou "Toulouse Lautrec" pour ses couleurs incroyables et audacieuses. "H.R Giger" pour son originalité, mais aussi plus récemment "MarK Ryden" pour ses "bonbons" acides et "James Jean" pour sa maitrise exceptionnelle du dessin.

Je lis énormément de bandes dessinées et je suis très admiratif de "Juanjo Guarnido", "Régis Loisel", "Frank Miller", "Bruce Timm", "Enki Bilal", "Jamie Hewlett", "Barbucci et Canepa", "Nicolas de Crécy", "Christophe Blain", "Winshluss" et j'en oublie...

J'ai aimé plus tardivement, après un long apprentissage, la culture japonaise. Si bien que j'ai dorénavant bien du mal à m'en passer. De "Ohayo Miyazaki" pour l'ensemble de son oeuvre, à "Takehiko InouÈ" (Vagabond), "Naoki Urasawa" (20th century boys) en passant par "Hiroaki Samura" (L'habitant de l'infini).

Mais aussi par les œuvres vidéoludiques de "Fumito Ueda" (Ico, Shadow of the colossus).

Ma dernière claque fut l'exposition actuelle "Transe forme" de Moebius à la fondation Cartier de Paris. 

Pour ce qui est de mes projets, je suis actuellement en phase de recherches graphiques pour une nouvelle histoire dans la veine de "La pêche à la lanterne". Mathieu Sabarly travaille en ce moment sur une première version du texte que j'ai hâte de découvrir ! Sinon je réalise toujours en parallèle des jingles TV et génériques d'émissions et suis en recherche de production pour un projet de série TV (animation 3D) intitulé "Les décalqués" en co-réalisation avec Joris Bacquet et Bastien Dubois.

 

Merci à vous !

 

Simon Moreau.

 

 

Un immense merci à Simon pour sa disponibilité, ses réponses et son talent. A suivre donc !

 

Illustrations : merci et avec l'aimable autorisation de Simon Moreau, merci aux éditions chocolat jeunesse !

 

Propos recueillis par Jean-Luc

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